Texte de cadrage

« Le néolibéralisme » est souvent associé aux politiques économiques appliquées au Royaume-Uni (RU), sous l’autorité de la Première ministre Margaret Thatcher, et aux États-Unis (EU), sous celle du Président Ronald Reagan. Le 4 mai dernier, quarante années se sont écoulées depuis la première élection au pouvoir de Margaret Thatcher et le début de ce qui est toujours présenté aujourd’hui comme le tournant néolibéral anglo-saxon. Le recul paraît suffisant pour mener une nouvelle analyse de l’ancrage de ce tournant dans l’histoire, du point de vue de ses origines comme de celui de l’héritage qu’il a laissé, et pour remettre en perspective ce qui fut décrit à l’époque, de part et d’autre de l’Atlantique, comme « une révolution conservatrice ».

La première ambition du colloque est donc de situer les néolibéralismes économiques, juridiques et politiques développés au RU et aux EU dans les années 1980 par rapport aux divers concepts philosophiques, historiques, sociologiques, politiques, juridiques et économiques dont ils se sont réclamés (ou non), l’idée étant de comprendre ce qui les a liés dans un paradigme/modèle anglo-américain.

Cela nous amène à remonter le temps vers d’autres formes de libéralisme. Considérer, par exemple, le « libéralisme du New Deal », appliqué aux EU dans les années 1930 par le Président américain Franklin Delano Roosevelt, et qui proposait une conception dynamique des droits fondamentaux que seul un État fédéral fort pouvait garantir, nous interpelle quant à la réappropriation idéologico-lexicale ingénieuse du terme « libéral ». Une réflexion pluridisciplinaire émerge alors sur le paradoxe du « laisser-faire » imposé par l'État et, partant, sur la place et le rôle exacts de l'État dans le néolibéralisme Reagano-Thatchérien.

D’un point de vue économique - mais non monétaire, exception notable caractéristique du néolibéralisme Thatchérien - la fin des années 1970 a été marquée, aux EU et au RU, par un profond mouvement de déréglementation initié par les gouvernements dans de nombreux secteurs comme l’énergie, le transport, le commerce extérieur et, surtout, le secteur financier. Cette déréglementation interroge quant au dogme qui l’accompagne et selon lequel déréglementation, compétitivité, croissance et stabilité ne font qu’un. L’exemple du secteur bancaire et financier, notamment, offre un cadre d’analyse propice à une réflexion globale sur les fondements et les conséquences du libéralisme. Non seulement la déréglementation financière anglo-américaine des années 1980 s’est progressivement propagée dans le reste du monde, apparaissant comme une nécessaire adaptation des structures financières de l’économie aux besoins de financement des systèmes productifs modernes, mais elle est encadrée des deux plus grandes crises financières que notre histoire ait connues, en 1929 et en 2008.

La seconde ambition du colloque est en effet d’analyser la portée de l’essaimage du néolibéralisme Reagano-Thatchérien. Il s’agit, d’une part, d’explorer la question de l’héritage laissé au RU comme aux EU et, d’autre part, d’observer la réception du paradigme/modèle hors des frontières, dans les Amériques et en Europe (États européens et Union européenne - UE), qu’elle soit sous forme d’acceptation ou de rejet. On s’interrogera notamment sur la notion de transferts transnationaux par le biais de la circulation d’idées, le rôle des think tanks et la place de la Société du Mont-Pèlerin en complétant des analyses récentes qui s’ancrent dans des perspectives et méthodologies transnationales.

L’UE, dans son ensemble, est le théâtre d’une certaine transformation juridique, comme l’illustre l’ouverture à la concurrence des industries de réseau au tournant des années 1990 initiée par la Commission européenne. Cette transformation juridique se réclame peu ou prou du (néo)libéralisme et/ou de techniques de « gouvernance » issues du monde entrepreneurial. Dans cette perspective, il s’agira d’envisager non seulement les origines et particularités de cette « gouvernance  », mais également l’impact de cette dernière sur la manière de fabriquer du droit etsur le droit qui en résulte au niveau de l’UE. Plus largement, l’articulation, au niveau des Institutions européennes, entre le libéralisme à l’anglo-saxonne et l’ordolibéralisme antérieur d’origine allemande sera interrogée. Quelles ont pu être les concrétisations politiques, juridiques ou économiques de l’ordolibéralisme au niveau européen et dans quelle mesure ces manifestations ont-elles pu être confortées, ou au contraire remises en cause, sous l’influence du néolibéralisme anglo-américain ?

Il conviendra ainsi d’apporter un éclairage scientifique sur les tourments du présent, afin de contribuer aux débats nationaux et européens qui interrogent le paradigme du libéralisme social et le penchant au nationalisme et au protectionnisme.

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